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Hugh Masekela › The Lasting Impressions of Ooga Booga

  • 1996 • Verve Verve 531 630 -2 • 1 CD

13 titres - 78:42 min

  • 1/ Bajabula Bonke
  • 2/ Dzinorabiro
  • 3/ Unhlanhia
  • 4/ Cantelope Island
  • 5/ U-Dwi
  • 6/ Masquenada
  • 7/ Abangoma
  • 8/ Mixolydia
  • 9/ Con Mucho Cariño
  • 10/ Where are you going ?
  • 11/ Morolo
  • 12/ Bo Masekela
  • 13/ Unohilo

informations

The Village Gate, New York City, 1965

Ce CD regroupe deux LP Verve sortis en 1965 (The Americanization of Ooga Booga MGM-SE-4372 et The Lasting Impression of Hugh Masekela), enregistrés lors d’un même concert au Village Gate de New York. Le titre Child of the Earth présent sur le second LP a été supprimé afin que la sélection n’excède pas les 80 minutes disponibles du support.

line up

Hugh Masekela (trompette, chant), Larry Willis (piano), Harold Datson (Basse), Henry Jenkins (Batterie).

chronique

  • the world is a township

King Kong. Il était dans le pack à l’export. Le même, quelle que soit la destination. Avec le Soda Brun, Louis Armstrong et Glenn Miller. Noir et Blanc : l’image, le son, le goût de l’Amérique. La guerre avait passé et les marchés à conquérir s’étaient encore diversifiés. On ajouta Ellington. Puis Charlie Parker, Gillespie... On garda le Coca, pas encore à l’aspartam. Et King Kong avait fait des petits. Ou plutôt on lui en avait fait (pas forcément dans le dos quand on y réfléchit) : toutes ces suites et ces plagiats moins bien torchés que l’original, mais dans lesquels, au fond, l’idée ne changeait guère. Toujours la même fin : le Grand Singe tente d’enlever la Blonde et l’emporte en haut d’un immeuble. On détache une escadrille -le top des As et les chasseurs dernier cri de la glorieuse Army. On flingue la Bête. La Belle s’en sort mystérieusement. Tu peux pas niquer l’Amérique. Pendant ce temps-là, dans la jungle, des Sauvages Nègres Tout Nus continuent de se prosterner en maugréant Ooga Booga. Partout la même image. Autant dire que vu d’Afrique ça a dû faire bizarre. D’autant plus quand on était né à Witbank, Afrique du Sud, où parler Xhosa , Zoulou, Afrikaans déterminait avec qui manger, travailler, se marier, parler une fois le soleil couché, baiser… était permis ou passible de. Zéro tolérance. En 1965, Hugh Masekela fait le voyage inverse : Go West Young Man. Retour interdit jusqu’à la fin du régime d’Apartheid. En musicien avisé, en homme de goût, sensible et sensé, il part de l’air plein les poumons, son épouse au bras (la surnaturelle Miriam Makeba), trompette en poche et toutes précautions prises. Il sait que ce pays, la Terre des Braves et des Forts (et accessoirement celle des Black Panthers et du Ku Klux Klan) l’attend au tournant. C’est d’ailleurs réciproque. Il a des choses à lui rendre et quelques autres à lui montrer. D’où le titre du premier des deux LPs ici compilés (The Americanization of Ooga Booga, en hommage grinçant auxdites bobines de propagande et d’aventure). D’où l’incroyable fraîcheur de la musique jouée ce soir-là au Village Gate. Du jazz ? Il y en a. Vue l’époque c’est hard-bop, soul-jazz, modal et compagnie. De la polyrythmie. De l’Afrique telle quelle et de l’Afrique fantasmée, passée par les filtres, les coupures, les recréations. Ce qu’apportent avec eux le trompettiste et son groupe (un combo mixte : Locaux et Expatriés) c’est d’abord un répertoire : inouï à l’époque, toujours pas fané quarante-cinq ans après. Pas mal de morceaux empruntés à son épouse "qui [les] avait emprunté à sa mère" , ou à d’autres compatriotes. Quelques originaux signés du leader ou du pianiste Larry Willis. Un ou deux tubes de saison, aussi (Hancock, Jorge Ben, j’y reviendrai). Et surtout une manière unique de chanter, de la voix ou de l’instrument, dans le son d’ensemble. Dès l’ouverture, on est jeté dans l’ambiance. Le balancement est lourd mais sûr, les vocalises tonitruantes, et le solo de trompette qui prend le relais ne laisse aucun doute : ça crie comme du Freddie hubbard en forme mais la langue n’est pas la même ! C’est explosif, perçant, ; solide, inébranlable, contagieux. Impossible de ne pas entendre. Du jazz ? Certes, mais aussi beaucoup de ce Township Jive que portera si haut Abdullah Ibrahim (alors encore Dollar Brand). Question d’accents, de mélodie, de drive autrement placé. De bout en bout de ces soixante-dix-huit minutes, les ambiances, le tempo, le style même vont changer, beaucoup et souvent : Hugh et ses hommes sont versatiles. Ils aiment qu’on danse, ils aiment la clave latine, ils aiment passer d’un idiome à l’autre, harmoniquement, rythmiquement. Ils aiment Coltrane et Miles Davis (Myxolidia). Masekela ne sait pas seulement exulter : ses accès de tendresse sont proprement déchirants (Where are you Going, Myxolidia encore…) Comme sa voix parlée d’ailleurs, incroyablement douce et déjà musicale lorsqu’il prend la parole entre les titres. Pourtant la cohérence de ce set a quelque chose d’incroyable. Le quartet a cette manière particulière de tout s’approprier sans qu’on puisse jamais déterminer qui apporte ou importe quoi, ce qui s’invente sur le moment, d’unifier le répertoire sans jamais rien lisser ou aplatir. Bien sûr, tout n’est pas parfait dans ce concert ! Certaines fulgurances surgissent au milieu de passages limite routiniers (le terrible solo de piano sur Cantaloupe Island d’Herbie Hancock – déjà en passe de devenir une scie à l’époque) ; la justesse du leader à la trompette est parfois plus que limite et ses improvisations jamais très complexes (les trois autres sont par contre toujours impeccablement en place et en ton). Mais c’est justement par là que cette musique accomplit en plein tout ce que ratera la "world" des années à venir. Il n’est pas ici question d’hybridation, de greffes, d’expériences en vase clos. Je vous parle de musiciens qui jouent ensemble, avec des histoires différentes, parfois parallèles, occasionnellement convergentes et qui s’excluent sans doute par zones. Trois types qui veulent en découdre et parviennent à créer une musique irréductible ET enracinée. Il y a cette incroyable qualité d’affirmation, cette puissance du son et du phrasé, cette manière de jouer toujours tête haute, de ne jamais abdiquer. On n’est pas là pour rire : on est là pour jouir. Et ça laisse sur le cul. Comme cette version irrésistible du Masquenada de Jorge Ben, portée aux plus hauts sommets, enroulée, enlacée, déployée encore et encore autours de son axe mélodique imparable, et qui nous fait oublier toutes les horreurs dont ce morceau à pu être depuis le prétexte (le kitsch choral de Sergio Mendès, les déclinaisons drum’n’bossa/nu jazz mollassonnes des années 90…). C’est un moment rare qui n’aura plus jamais lieu, ce concert. C’est une bataille qui se gagne dans nos oreilles. Pas une revanche : un triomphe. Quatre types noirs très bien habillés qu’une foule civilisée acclame. Dans le public, sûrement quelques Blondes. Et King Kong dans tout ça ? Lui ? Oh rien ! On est pas en haut d’un building là, près à chuter. On est dans une cave. Et on s’élève. Alors qu’ils aillent se faire foutre avec leur King Kong !

note       Publiée le mercredi 25 juin 2008

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Arf, un de plus en moins... Des chances que ça fasse moins de parlotte que sur Johnny H. ou Dodo'riordan... (Et une de mes premières chros - "putain, dix ans", ouais).

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    WZX Envoyez un message privé àWZX

    Décédé aujourd'hui même, semble-t-il.

    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Merci pour lui... Par la suite, Monsieur est retourné en Afrique (mais pas du Sud, bannissement oblige ...) pour faire des choses nettement plus funky et amplifiées. Bientôt sur vos écrans.
    Note donnée au disque :       
    Tallis Envoyez un message privé àTallis
    Ah... Un nouveau chroniqueur qui cause jazz et world music, voilà qui fait bien plaisir! Et cette chro fait bien envie, ma foi...
    Fryer Envoyez un message privé àFryer
    Comme dans Jumanji ? (le dessin animé)