Naevus › Soil

"Soil." Le terme est terrible, il agrippe au plus intime, à l'intérieur des tripes ; retenu à ce sol natal comme à tous ses déterminismes et ses souvenirs d'échecs - et pourtant ce sentiment d'être chez soi, et cette douceur dans la voix désabusée de Lloyd James, qu'on dirait émanant du fond d'un verre vide de Martini, tard, très tard, détaillant avec morgue ses incapacités, son inadéquation, l'impuissance des mots; dressant des paysages urbains absurdes et beaux, quelque part. Un sol aride, aussi, sur lequel on se casse la gueule encore et gratuitement, et sans jamais en apprendre grand-chose. La boîte à rythmes, remplacée par John Murphy dès l'album suivant "Behaviour", frappe aussi impitoyablement que le Londonien ponctue ses textes, truffés de points d'interrogation pressants au point de tourner à l'exclamation - How to distinguish purpose from waste! Soil est un récit de manque, de gâchis, de perte et d'incompréhension, une introspection en vrille qui glisse de l'exaltation des synthés new wave de How dogs die vers les basses crasseuses et lointaines de I was there et Use; Health démarre de manière très significative par une noise stridente, Desert par des cris d'animaux, le martèlement à trois temps façon manège sordide de A Nausea file effectivement le tournis, autant que les intros, les couplets toujours juste un peu trop longs. On n'a pas vraiment affaire à du neofolk, ni à du post-punk ou de la cold wave, quoi que peut-être plus, ça n'a pas vraiment d'importance ; le constat morne des vers de Use non plus, tant leur désespoir est un refuge réconfortant, surtout au milieu de la nuit passé, surtout seul face à un verre de Martini vide - il ne s'agit que de musique après tout, et cela n'a pas vraiment d'importance - que faire d'autre ? On vit avec... Contrairement aux albums ultérieurs de Naevus, qui s'achèvent par des pièces autrement plus chorales et exaltées, Soil conclut de manière explicite sa revue de défauts : "So this is what I'm reduced to / Obsession with the process / Pushed to pride in worthless things..." Et encore, avec ce détachement qui y trouve son explication : " Putting into correct perspective my suffering / I was concerned for my welfare / So I cut it. Off. With a knife [...] I'll keep the trophy for myself." Violent et salvateur. Un album pour la vie.