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Entretien : La Nóvia (avec les membres de Jéricho et Toad), Jardin des Chartreux, Lyon, le 16 juillet 2015

par Dioneo › lundi 27 juillet 2015


Style(s) : folk / musique électronique / musique électro-acoustique

Il fallait bien qu’on en vienne là… Qu’on cesse de rater l’occasion, de remettre à plus tard. J’avais abordé Yann Gourdon avant l’un de ses concerts lyonnais – au Café du Rhône, en duo avec An Tez, sous le nom de Vaacum – pour lui proposer… Plutôt qu’une interview, un entretien, une discussion. À propos de La Nóvia – ce collectif dont il est un des membres, peut-être le plus visible… Pas le seul - ceux là font corps, d’un groupe à l’autre, singuliers, distincts... Manifestement d’accord. Je voulais parler de cette… Communauté ? Oublions, alors, toute connotation baba et, ou, encore plus, sectaire... J’aurais dit volontiers « commune » - sans jamais penser « chauvinisme ». Ça m’intriguait – ça continue de m’enchanter, de me surprendre… – cette idée surtout pas fixe mais à quoi ils tiennent. Ce mouvement insaisissable mais jamais dans le vague. Les veillées de la Baracande, les bourrées, valses, polkas, de Toad. Les chants intoxicants de Jéricho. Les voix du Cantal qui remontent de la terre et tombent de ce ciel là pour saisir, chez Faune. Les particules sonores en nuages, nuées, constellations, du Verdouble… Le Verdouble, je le savais, devait jouer quelques semaines plus tard au festival Échos, à la ferme du Faï, dans les Hautes Alpes. (Je vous ai conté ça, ailleurs, il y a peu). Il y aurait là Yann Gourdon, donc, et son comparse dans ledit duo, Yvan Étienne, autre vielleux. Rendez-vous avait été pris, convenu. Puis… Sur place – circonstances, charges, nuits blanches – différé. Quelques semaines après, d’autres groupes du collectif devaient encore jouer à Lyon - au Jardin des Chartreux, dans le cadre des jeudis des Musiques du Monde, organisés tout l'été par les CMTRA (Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes). Jéricho, justement, et Toad, et le duo Violoneuses. Cette fois devrait bien être la bonne.

Au jour dit me voilà donc au Jardin... Un parc presque caché, de fait ; en haut de la colline de la Croix Rousse, pourtant – mais à l’un de ses azimuts les moins visités, excentré, comme coupé des rues autrement touristiques du quartier adjacent. La vue sur les quais de Saône, d’ici, est assez belle, l’angle un peu inhabituel sur la basilique de Fourvière, en face. Il est encore tôt lorsque nous arrivons l’ami Buck – qui me fournit aimablement l’enregistreur – et moi. L’ami Dariev nous rejoindra plus tard, au début de l’entretien. Pour le moment, les membres de Jéricho sont sur scène, encore en pleines balances. Nous les saluons rapidement puis allons nous poser discrètement à l’ombre, le temps qu’ils finissent. On a tout le notre. La canicule persiste, depuis des jours – trente huit degrés au moins, celui-là, et pas un souffle. Guilhem Lacroux – avec qui nous avions convenu de l’heure du rendez-vous – passe en voiture devant nous, nous informe qu’il va « acheter du vin » et sera vite de retour, pour l’entretien… Une fois les balances finies, tout le monde se présente, nous discutons un peu, tous, sans formalités. D’abord Guilhem et Yann, donc, puis Élodie – graphiste et "administratrice", logisticienne du collectif… Nous parlons des Échos, où avaient donc joués trois semaines plus tôt, à peine, Le Verdouble mais aussi France, l’extatique trio de Yann Gourdon avec Jérémie Sauvage (basse) et Mathieu Tilly (batterie). Nous échangeons quelques impressions sur ces deux jours passés, encore frais dans nos mémoires à tous, sur les concerts qui s'y étaient joués. Les musiciens nous rejoignent petit à petit – sauf les deux Violoneuses, dont le tour est venu de balancer, et qui ouvriront la soirée. Nous décidons rapidement de nous attabler à l’intérieur du petit pavillon où sont installées les loges et autres commodités de l’endroit. Outre Yann Gourdon (vielle à roue, boîte à bourdon ; membre de Toad, La Baracande, Jéricho, Le Verdouble, La Cléda, des duo Puech/Gourdon et Gourdon/Mauchant, et du trio Puech/Gourdon/Brémaud) et Guilhem Lacroux (guitare et lapsteel ; membre de Toad, La Baracande et Faune), donc, ce sont, qui nous ont rejoints : Jacques Puech (voix, cabrette, glass harmonica ; membre de Jéricho et Faune) ; Pierre-Vincent Fortunier (violon, cabrette ; membre de Toad et La Baracande) ; Clément Gauthier (chant, cabrette, tunn-tunn ; membre de Jéricho) et Antoine Cognet (banjo ; membre de Jéricho). On m’avait dit ceux-là peu causants, pas très volubiles sitôt qu’il s’agissait de parler de leurs musiques plutôt que de les jouer… Dès le préambule, j’ai l’impression contraire ! Chacun se fera là-dessus l’opinion qu’il voudra à la lecture de ce qui suit. Piles neuves en place dans le zoom. « Ça module »… Quelques plaisanteries s’échangent, des gobelets s’emplissent d’anis. Entrons dans le vif du sujet.

Une chose me frappe, régulièrement, quand je lis des articles ou des chroniques sur La Nóvia… On a souvent l’impression que leurs auteurs ne savent pas s’il faut dire « le label », « le collectif »… Moi j’ai l’impression que vous êtes une espèce de « maison »… Est-ce que vous vous êtes rencontrés avec le but conscient de créer un « courant », théorisé, ou est-ce que c’est une rencontre sur des intérêts communs, qui s’est faite ?

Clément Gauthier : Plus que sur des intérêts, c’est sur une manière d’appréhender ces musiques-là, je pense. Et pour répondre à ta question, on n’est clairement pas un label. C’est vraiment un collectif, et qui fonctionne VRAIMENT comme un collectif. C’est à dire qu’on sait tout ce qui se passe. Tout circule, les informations circulent. Ce qu’on se dit entre nous, ça circule aussi. Et puis voilà, on a vraiment tous notre mot à dire dans ces choses là. Bon, après, Yann qui est peut-être plus à l’origine…

Yann Gourdon : … Non, je ne suis pas à l’origine. C’est Toad, qui est à l’origine, avec Guilhem et Pierre-Vincent. En fait c’est de LÀ qu’est partie la « structuration ». C’est au moment de créer la Baracande qu’on s’est rendu compte de la nécessité de structurer quelque chose qui à ce moment là n’existait pas en tant que collectif, puisqu’on était juste trois individus, Guilhem, Pierre-Vincent et moi… Et en franchissant le pas de la structuration, on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres personnes, qu’on rencontrait à ce moment là, c’est à dire Basile {Brémaud, chanteur et violoneux de La Baracande} et Jacques, qui présentaient des intérêts qui étaient communs aux nôtres. Il y avait mon duo avec Jacques, le trio Basile, Jacques et moi, La Baracande, donc, qui arrivait… On s’est rendu compte que là il y avait quelque chose qui était en train d’émerger. Et progressivement ça s’est élargi, avec l’arrivée de Clément, Antoine… Il y a eu Yvan Étienne, Le Verdouble, aussi, et les dernières c’est…

Guilhem Lacroux : Il y a eu La Clèda, aussi.

Yann Gourdon : La Clèda, oui, avec Matèu {Baudoin} et Nicolas {Rouzier}, et les dernières, ce sont les Violoneuses, Mana {Serrano} et Perrine {Bourel}, qui jouent ce soir.

Vous aviez l’impression qu’il y avait un manque, dans ces musiques là ?

Yann Gourdon : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un manque, ça vient plus d’un désir de faire quelque chose…

Guilhem Lacroux : … On avait le désir de faire les choses comme on les faisait, en fait. Comme on les entendait esthétiquement et… Ce n’était pas simple ! Et ensuite, de les faire aussi comme on les voulait politiquement. En fait ça a donné le fait de faire un, un…

… Un collectif ?

Guilhem Lacroux : Un collectif !

Yann Gourdon : Esthétiquement avant le politique. Mais c’est devenu politique au delà de notre volonté, je pense.

Dans la pratique ?

Guilhem Lacroux : En tout cas, politique en interne. C’est à dire « comment on fait pour fonctionner, structurer ? ».

Clément Gauthier : On s’est rencontrés pour jouer puis… Aussi, ce qui est très important : avoir un support administratif. Et puis, ce qui est aussi super fort dans le collectif – je crois qu’on est tous très concernés pas ça, c’est… À la base on vient quasiment tous – presque tous – des musiques de… De bal ! Donc des musiques qui se vivent là, à l’instant avec des gens qui dansent, etc. … Et la production discographique a elle aussi un sens mais je crois que pour nous ce sens est encore plus fort, a une raison d’être si on ne produit pas « juste un CD » mais… Un objet. Que ce soit un support poétique, artistique.

Yann Gourdon : On défend une esthétique… au delà de l’esthétique sonore et musicale. Il y a aussi, justement, toute la dimension graphique, qui est en grande partie tenue par Élodie {Ortega}, qui est salariée depuis… 2011, je crois, et qui fait aussi partie de cette structuration. C’est à dire que dans le cadre de la structuration on a une salariée, qui fait à la fois toutes les parties administratives mais aussi qui apporte toute cette partie graphique, l’aspect visuel, qui pour nous est aussi important esthétiquement que l’aspect sonore. Et au delà de ça, on défend aussi des choses… Quand on nous propose d’organiser des événements – on en fait très peu, à peu près un par an – on essaye d’aller au delà de… C’est à dire, c’est… Dans la manière d’accueillir les gens, ce qu’on propose à boire, à manger, la manière de faire la fête. Ça va au delà de la musique, je crois. On est des gens qui aiment bien faire la fête ensemble. Et ça fait partie de ce qu’on défend.

Justement, à propos des concerts : vous jouez beaucoup, et j’ai l’impression que vous tournez dans des lieux très différents. Je vous avais vu, donc, à La Triperie {à Lyon} qui est une salle, disons, plutôt « alternative » ; j’avais vu Faune au Périscope, qui est une salle plutôt spécialisée…

Guilhem Lacroux : … Jazz.

Oui, jazz/musiques nouvelles, comme on dit… Je vois que vous jouez aussi parfois dans des salles communales…

Yann Gourdon : Des bals.

… En fait j’ai l’impression qu’au contraire des gens du mouvement folk des années soixante dix, vous essayez d’aller vers des lieux qui sont tout sauf des « enceintes pop ». Est-ce que c’est encore une question de rencontres, de contacts ?

Yann Gourdon : Déjà, on va vers ceux qui nous invitent, nous proposent de jouer.

Guilhem Lacroux : Après je pense qu’il y a un truc qui joue aussi… Avec pas mal de formations – même avec Toad au début – on essayait de jouer dans le milieu trad’ et… En fait, ils ne voulaient quand-même pas trop de nous ! Enfin, c’était compliqué… Et les gens qui étaient curieux par rapport à ces musiques là, c’étaient plutôt des gens de réseaux « underground », on va dire, et donc on s’est retrouvés à jouer « là ». Et donc on a développées je pense des choses aussi, dans ces réseaux là, dans ces écoutes là.

Yann Gourdon : Après, il ne faut pas non plus dire que le trad’ ne voulait pas de nous, parce que… C’est une CERTAINE CATÉGORIE de gens, qui ne voulait pas. Malgré tout il y a des gens envers qui on a eu un impact… Un impact qui est toujours effectif. Et aujourd’hui, il me semble que même, on en parlait avec jacques…

Guilhem Lacroux : Ben… La preuve ! La preuve ce soir…

Yann Gourdon : … la semaine dernière, il y a des gens, même si ce n’est pas forcément conscient, dans le milieu trad’, qui commencent à rentrer dans des esthétiques qui sont dérivées de celle de La Nóvia. Et… Ça veut dire que malgré tout ça commence à avoir une empreinte.

Guilhem Lacroux : Ben… Ça fait dix ans.

Dans l’autre sens, aussi… J’avais été assez étonné, à la Triperie, de voir les gens du public – on va dire « alterno » – lyonnais qui se mettaient à danser la bourrée sur la musique de Toad. Enfin… D’ailleurs, vous venez tous du trad’, à la base, ou… ?

Yann Gourdon : Non.

Guilhem Lacroux : Non.

Pierre-Vincent Fortunier : Oui.

Clément Gauthier : Oui ! Ben oui, il en faut quelques uns.

Guilhem Lacroux : Non mais en fait je crois que c’est pas de là où on vient, c’est là où on va qui compte, c’est ce qu’on cultive.

Jacques Puech : C’est beau ce que tu dis.

Guilhem Lacroux : Ouais, c’est beau… (rires).

C’est une question qui se pose, parce que… Vous développez dans chaque groupe – si j’ai bien compris – un répertoire régional, ou même qui peut être très « local ».

Clément Gauthier : Oui, c’est ça

Et on peut se demander si vous avez décidé de développer ces répertoires parce qu’ils étaient « là, devant vous », dans vos vies ou si…

Clément Gauthier : … Non, je ne crois pas. Déjà, ça dépend des projets. Si on doit parler de La Baracande, c’est hyper… {geste frappé sur la table - "C'est là que ça se passe"... Rappelons que le répertoire du groupe La Baracande est entièrement puisé à celui de la Virginie Granouillet, chanteuse de Haute Loire collectée entre 1958 et 1962 par Jean Dumas, en son village du Mans (commune de Roche-en-Régnier)}. Après si on doit parler aussi du terreau de base c’est presque un non-sens, en fait, de penser que c’est originaire d’un endroit. Parce que par exemple quand tu regardes, déjà, la diffusion qu’a pu avoir une chanson « occitane »… Déjà, le territoire occitan c’est déjà énorme, hein, c’est la moitié de la France.

Jacques Puech : Plus un bout de l’Espagne.

Clément Gauthier : Plus un bout de l’Espagne. En sachant qu’une chanson soi-disant occitane, tu vas en retrouver la structure, éventuellement une mélodie assez proche, et un texte tout à fait similaire… Mais tout à coup qui va être en français et venir de Vendée. Ça te pose quand même beaucoup de questions sur « qu’est ce que c’est que l’endroit d’origine ? ».

Pierre-Vincent Fortunier : Ou même plus loin, tu va retrouver la même qui va venir de Louisiane ou d’Acadie.

Guilhem Lacroux : C’est ça ! Nantes… Nantes n’est pas dans le Massif Central. Et pourtant… voilà tu vois.

Clément Gauthier : Voilà, ça rejoint ce que dit Guilhem, l’important c’est là où on va. C’est à dire : nous, on est nous, on fait cette musique à un endroit ; avec notre histoire, chacun notre bagage. Il est ancré par certains aspects, qui peuvent être esthétiques, des phrasés, des choses comme ça. Mais après, nous, je crois que ce qui nous a fasciné – et c’est là que ces musiques sont quand-même bien ancrées – c’est avant tout la notion de timbre. Alors c’est sûr, on a peut-être une manière de porter le timbre qui est très commune au collectif, et qui est peut-être très ancrée mais finalement elle est ancrée… Eh bien dans la Nóvia, quoi ! On va la retrouver ailleurs mais… Après, de dire « ça vient de là précisément et pas d’ailleurs »… Pff !

Vous vous en foutez, en fait ?

Jacques Puech : Je crois.

Clément Gauthier : De quoi ?

D’où viennent…

Clément Gauthier : Non mais après il y a des trucs affectifs, tu vois.

C’est impossible à déterminer, en fait ?

Yann Gourdon : C’est hyper complexe. Après, je pense qu’on ne s’en fout pas non-plus ! Mais ça vient aussi de nous. Ça vient forcément de quelque part mais disons… On n’est pas avec les blasons sur l’épaule à revendiquer telle ou telle région…

Guilhem Lacroux : Non mais ce ne sont pas des trucs comme ça avec… Voilà, la frontière. On n’est pas, on n’est pas…



Vous n’êtes pas coincés sur…

Guilhem Lacroux : Non, je ne crois pas, en fait. Je crois que les frontières ne sont pas là. Ce ne sont pas des frontières de territoires.

Je me demandais si vous vous posiez la question d’une modernité ou pas ?

Clément Gauthier : D’une modernité ? Certainement pas ! Enfin, me concernant, certainement pas !

En fait, pour reprendre ce que disait Guilhem, plus que « d’où on vient » ou « où ça va », j’ai toujours eu l’impression, en écoutant vos musiques que vous vous étiez dit « là où on en est on prend les choses ».

Yann Gourdon : Oui. Mais ce n’est pas quelque chose qui a à voir avec la modernité. Je crois que la modernité, c’est un concept, euh…

Guilhem Lacroux : C’était une phrase de Rimbaud, il a dit « il faut être absolument moderne », les gens l’ont mal compris et puis voilà… Je crois qu’on en a franchement rien à foutre.

Yann Gourdon : On est…

Guilhem Lacroux : On est tous contemporains toujours puisqu’on vit au moment où on vit.

Yann Gourdon : On est tous nourris de nos différents parcours, et qui sont passés par d’autres musiques que les musiques traditionnelles et forcément ça nourrit aussi ce qu’on fait musicalement. Mais c’est pas dans une volonté d’être moderne ou…

… Enfin, encore une fois, ça diffère à mon oreille de ce qui a pu être fait, en folk, dans les années soixante dix. On a l’impression qu’ils voulaient amener des répertoires dans une d’instrumentations modernes mais en les adaptant… Je ne sais pas, peut-être plus « consciemment » ou de façon…

Antoine Cognet : Je pense qu’il y avait une volonté de rendre les choses plus actuelles.

Ce que justement je ne sens pas chez vous.

Clément Gauthier : Parce que je pense que socialement et historiquement il se passait un truc à l’époque, dont nous… Finalement si tu veux, nous on n’a pas à mener ce combat. Nous on a pas à mener DE combat, en fait ! Alors que pour eux, je pense que ça s’est vraiment posé en ces termes là. C’est à dire « ça va crever, on doit se battre ». Et donc, du coup, ils ont développé tout un tas d’arguments sonores, musicaux etc. pour essayer de faire ressurgir le truc… Or, nous – enfin, en tout cas me concernant, après faut poser la question aux autres… Je ne me sens pas du tout dans un combat de quoi que ce soit. Moi il y a des choses qui me laissent pantois – dans le bons sens du terme, c’est à dire –, d’autres qui me laissent, euh… perplexe. Il y a des groupes des années soixante dix que j’écoute toujours et que je trouve géniaux – Los D’a Roier, Perlinpinpin Fólc, des gens comme ça… – et même si tu as des harmonies de voix à la tierce, des trucs bizarres, ils ont vraiment creusé une veine sur le timbre etc. et je trouve ça toujours aussi… En fait ça ne s’est pas démodé parce que ce n’était pas une mode. Par contre, ce qui est sûr et certain c’est que ces mecs là, avec ce qu’ils ont fait, la manière dont ils l’ont fait etc.,… nous on en récolte toujours des fruits. Dans le sens où ils sont allé au charbon, ils sont allé explorer des répertoires, voir les gens qui jouaient ces répertoires… Il y a quand-même fort à parier que s’ils l’avaient pas fait…

Guilhem Lacroux : Très clairement ! En plus on sait très bien que « les traditions » peuvent disparaître en… Cinq ans ! Ça peut crever hyper vite… Comme être relancé hyper vite, il y a des exemples de ça.

 

Clément Gauthier : Les traditions en tant que pratique, tu vois ?

D’ailleurs vous avez des retours… Vous êtes en contact avec des gens de ces autres générations du folk ?

Guilhem Lacroux : Tu veux dire des vieux ? Le général De Gaule et tout ça ?

(Tous) : Oui…

Jacques Puech : Il y en a qui vont venir ce soir, d’ailleurs.

Yann Gourdon : Alors moi je veux juste rebondir sur cette histoire de « combat »… Ce n’est pas un combat à proprement parler mais malgré tout il y a quelque chose que je revendique, et que je défends – vraiment, littéralement – qui n’a pas à voir avec une histoire de modernité ou quoi que ce soit mais c’est cette notion de timbre, une certaine qualité du son. À mon sens, il y a des pratiques musicales aussi bien traditionnelles que populaires en général qui tendent vers un appauvrissement du spectre sonore, ce qui a une incidence sur la manière dont on écoute la musique. Et ça par contre ça fait partie de quelque chose, dans ma pratique, que j’ai vraiment envie de défendre et de revendiquer : d’assumer le spectre de nos instruments et la manière dont ça sonne.

Après… Tu parlais de « musique populaire », et du milieu trad’… Il y a beaucoup de formes de musiques où on l’accepte, cet aspect sonore, le timbre, le spectre. Tout ce qui est drone… Dans des musiques contemporaines qu’elles soient dites « savantes » ou moins formellement théorisées…

Yann Gourdon : Il y a des mouvements où ils ont fait soi-disant « tabula rasa » pour revenir sur quelque chose et retomber dans cet aspect là du sonore, et...

Guilhem Lacroux : Ça a soixante ans, en fait.

Yann Gourdon : Et ça a soixante ans. C’était un nouveau point de départ mais pour moi, il n’y a rien qui ait été inventé à ce moment là. Ce sont des choses qui ont toujours existé dans certaines pratiques musicales – dont on peut reprendre conscience, aussi. C’est d’ailleurs pourquoi des musiciens expérimentaux se sont intéressé à des musiques « traditionnelles » pour la plupart exotiques… Tout l’intérêt pour les musiques balinaises et autres, ça va dans ce sens là, du timbre… Et effectivement, je pense que c’est pour ça que La Nóvia marche bien dans ces milieux là : parce qu’ils ont déjà l’oreille éduquée, en quelque sorte, à ce type de sons là.

Après comme tu disais : c’est déjà dans vos instruments. La vielle c’est… Plein de fréquences.

Yann Gourdon : Oui. C’est déjà dans nos instruments, mais il y a quand-même une catégorie de la lutherie contemporaine de ces instruments là qui a plutôt tendance à gommer, à faire disparaître ça.

Guilhem Lacroux : Non mais c’est une espèce de conflit, toujours, réel, entre les musiques du nord et les musiques du sud. J’exagère un peu… Mais c’est vrai : il y a une question d’appréhension du timbre qui, vraiment, dépend des cultures.

Mais tu parles à quelle échelle, quand tu parles de nord/sud ? A l’échelle européenne ?

Guilhem Lacroux : Non mais tu vois ! En Afrique, tu prends une calebasse, tu la pètes, tu mets une toile d’araignée et voilà quoi… Parce que c’est beau, parce que ce timbre là, qui fait « dzuing dzuing », est beau. Alors que tu vas voir d’autres pratiques, d’autres cultures – souvent moins traditionnelles, c’est vrai aussi – qui vont chercher un son beaucoup plus lisse. Regarde le dix-neuvième siècle, la flûte traversière, c’est abominable…

Clément Gauthier : Oui mais regarde, en Europe du nord, en même temps, tu avais des trucs hyper timbrés, des jeux de violon hyper crados, bourrés d’harmoniques… Moi je crois que c’est vraiment une pratique bourgeoise de la musique, le son lisse, en fait. C’est plutôt lié à ça. Mais bon, ça a sa raison d’être, aussi. C’est à dire, il y a une technique pour le chant lyrique parce que ça répond à des contraintes hyper spécifiques : chanter avec un orchestre symphonique, etc., dans une salle immense… Il faut que tu trouves ce que tu vas faire pour que ça marche.

Guilhem Lacroux : Oui ! Mais… Je suis d’accord avec toi mais pas d’accord. Il y a quand-même des mecs qui écrivent des concertos pour guitare au dix-neuvième siècle… Enfin tu vois, le concerto d’Aranjuez, la guitare on ne pourra jamais l’entendre, de toute façon ! C’est juste que c’est mal écrit.

D’ailleurs, dans cette optique {du timbre} est-ce que vous modifiez la lutherie de vos instruments ?

Jacques Puech : Oui ! On la modifie, je crois, oui !

Enfin… Même sur les techniques de jeu… Guilhem, par exemple, je vois bien que tu as des techniques qui ne viennent certainement pas du folk, du trad’ …

Guilhem Lacroux : Si ! Il y a beaucoup de chansons avec des tournevis, dans le répertoire ! Non mais tu sais, en fait, les mecs, sur le violon, ils mettent des verres pour qu’il y ait une distorsion acoustique, c’est le même principe. C’est des trucs… C’est comme si c’était un fil qui avait pu être perdu mais je pense que le fait de bidouiller son instrument… L’organologie, c’est aussi un lieu de création !

Ce que je voulais dire c’est que pour quelqu’un comme moi – qui ne « viens » pas du tout du trad’ ; enfin, je… ce n’est pas ce que j’ai écouté le plus longtemps et depuis le plus longtemps – c’est facile de voir que tu uses de techniques pas forcément orthodoxes… Même quand tu fais des choses percussives avec les doigts de la main gauche sur le manche, là. Mais Yann, en revanche… Je n’arrive pas à savoir, quand tu joues, par exemple, en faisant directement pression sur les cordes avec les doigts, si c’étaient des choses qui se faisaient, qui existaient dans le « trad’ d’avant vous ».

Yann Gourdon : Eh bien quand j’écoutes certains vielleux, collectés…

... Tu entends ça ?

Yann Gourdon : Je n’entends pas techniquement qu’ils mettent les doigts dedans, j’entends un type de son particulier, ce son là qui me plaît et que je recherche… Après dans les techniques que j’emploie pour les obtenir – ces sons – elles me sont peut-être propres. Peut-être qu’elles n’ont jamais été utilisées… Ça je n’en sais rien et à la limite ce n’est pas ça qui est intéressant. Enfin… je cherche à faire sonner mon instrument d’une certaine manière, que j’ai entendu chez d’autres vielleux, et…

En fait, le sens de ma question… C’est que j’ai l’impression d’une certaine liberté de jeu qui n’est pas forcément… Je n’ai pas l’impression qu’il y ait chez vous un canon de techniques comme…

Yann Gourdon : Oui. Non mais… Non, il n’y a pas de canon de techniques. Et en l’occurrence quand on écoute différents vielleux, on va se rendre compte qu’ils ont tous, chacun, leurs propres techniques. Moi ce qui me marque, c’est la manière dont ça sonne. Quand je vais entendre ça je vais me dire « ah putain, ça sonne génial » et « comment je peux reproduire ça ? ». Et c’est là que moi, je vais développer ma technique particulière.

Pierre-Vincent Fortunier : Mais je crois que… Ce que tu évoques, la liberté de jeu, c’est quelque chose d’important, dans ce qu’on fait. En fait ce n’est pas parce que « ça s’est toujours joué comme ça » qu’on devrait s’interdire des choses.

Mais… Est-ce que quelqu’un s’est déjà dit, en même temps, « est-ce que j’ai ou pas le droit de faire ça » ?

Pierre-Vincent Fortunier : Oui, oui. Mais parce qu’il y a des instruments pour lesquels des règles ont été éditées, en fait. Mais… Ça reste de la musique donc on a le droit quand-même de faire ce qu’on veut.

Guilhem Lacroux : Et puis il faut savoir que… Les règles qui ont été éditées correspondent à un endroit et… Tu sais très bien qu’à cinq-cents kilomètres, les mecs éditent des règles exactement inverses !

Pour en revenir au bal… Yann, j’ai lu plusieurs interviews où tu parlais beaucoup de l’importance du lieu, de son acoustique… Est-ce que l’importance du public… Est-ce que ça va changer la manière dont vous allez jouer, justement, que vous jouiez à la Triperie, ou…

Yann Gourdon : Le public, ça fait partie intégrante d’un lieu quel qu’il soit. Quand je parle de l’importance du lieu, il s’agit de prendre en compte toutes les constituantes d’un lieu – et c’est aussi bien l’architecture que les gens qui sont présents. Et tout ça, ça va avoir une incidence, on va avoir un « répondant » différent et on est hyper-réactif à ça.

Mais justement : c’est quelque chose de « réactif » ? Ce n’est pas quelque chose que vous pensez en amont ? Vous ne vous dites pas « on va jouer à tel endroit »…

Yann Gourdon : En ce qui me concerne je le pense en amont dans la mesure où ça a toujours été quelque chose qui m’a intéressé – et plus j’avance dans la musique, plus c’est quelque chose que j’ai envie de travailler. Mais après ça se joue sur l’instant, dans le lieu… Pour moi… J’aime bien cette idée de feedback – parce que j’ai aussi beaucoup écouté Alvin Lucier, sans doute, mais… C’est quelque chose qui me plaît énormément et – je me rends compte – que j’applique à tous les niveaux. Aussi bien dans le son, dans une relation à l’architecture d’un lieu – c’est à dire prendre en compte sa résonance acoustique – qu’avec les individus qui sont en train d’écouter. Il y a aussi un feedback qui s’opère dans le sens où quelqu’un qui est en train de m’écouter va entrer dans un certain état d’écoute, qui va avoir une incidence sur ma manière de jouer et… Inversement. Et du coup il y a un feedback qui opère.

Jacques Puech : Après il y a un point qui à moi me paraît un peu particulier, sur le bal. Là, il y a une autre interaction. On n’est pas que dans l’écoute. On est aussi dans le mouvement… C’est un autre type d’écoute qui apporte d’autres choses.

Pour revenir sur le feedback… Quand j’avais vu La Baracande puis Toad à la Triperie, toujours, j’avais vraiment eu l’impression d’assister d’abord à une veillée, avec des gens qui écoutaient… pas « religieusement » mais très concentrés, dans une espèce de contemplation, pendant La Baracande. Puis – vraiment – tout le monde s’était mis à danser dès le moment, avec Toad, où vous avez…

Yann Gourdon : Parce qu’on ne joue pas sur les mêmes ressorts. Ce feedback dont je parle, il n’agit pas de la même manière.

Guilhem Lacroux : Mais il agit toujours ! Vraiment, le public, c’est énorme ce qu’il apporte. L’écoute, ou le fait qu’il danse, ou… Enfin, moi je pense que c’est énorme.

Vous ne vous sentez jamais « contraints » par un lieu ?

Guilhem Lacroux : Tu fais avec !

Jacques Puech : Il y a des lieux où ça marche mieux. Il y a des publics avec lesquels c’est vraiment dur aussi.

Parce que… Quand vous aviez joué {avec Faune ; duo constitué de Jacques Puech et Guilhem Lacroux} au Périscope, tout le public était assis sur des chaises… J’avais trouvé que la façon dont le lieu était conformé…

Jacques Puech : Oui, ça change tout.

Yann Gourdon : Pour en revenir aussi à la danse… Moi j’ai une pratique de la danse qui n’est pas très vieille, qui correspond avec le moment où j’ai rencontré les musiques d’Auvergne. Mais du coup, aussi, d’appréhender les musiques à travers la danse, ça a complètement modifié ma manière d’écouter aussi les musiques qui ne sont pas à danser. C’est à dire que j’ai pris conscience de quelle manière le corps est en action dans l’écoute. Même quand on n’est pas en train de danser. Ça rejoint ces idées de vibrations, qui renvoient à cette idée de feedback, aussi. Même si on est dans une écoute sans danser, on est dans une écoute active. Et cette écoute active passe aussi par le corps, même si on est assis sur une chaise ou immobile debout. En tout cas c’est ce qu’elle devrait être pour que ce feedback ait lieu et qu’il y ait quelque chose qui interagisse entre le son et l’auditeur.

Clément Gauthier : Et puis aussi, il y a quand-même un truc qu’on fait beaucoup dans le collectif, dans ce processus qui engage aussi les spectateurs… La plupart des groupes du collectif travaillent beaucoup aussi sur la notion de durée. On n’est plus dans les formats radio, et ça engage les musiciens comme les spectateurs dans un format d’écoute qui pour certains est assez inhabituel. Il y a des gens qui peuvent se sentir « attrapés », tu vois, dans le sens où c’est à dire… Dans la culture occidentale on ne fait pas de bruit, où on reste là, on écoute. Eh bien il y a des gens qui peuvent se sentir parfois victimes de ça, c’est à dire « merde, la chanson est pas finie, c’est long, c’est long c’est long c’est long » ! Alors qu’en fait, nous, ce qu’on a envie de proposer, ce sont des formats d’écoute dans lesquels tu es libre – personne ne t’a jamais dit qu’il fallait rester assis sur une chaise, comme ça, écouter religieusement. Tu peux très bien prendre ta part – et amener la tienne – dans une écoute. Elle peut durer trente secondes, elle peut durer huit minutes, elle peut en durer vingt… D’avoir cette espèce de liberté là, et aussi une liberté de mouvement, c’est aussi un truc qu’on aime bien proposer. Et dans le bal, justement, tu as aussi ça qui est proposé. Dans le bal tu as toujours des gens qui sont à la buvette, d’autres qui sont en train de danser, d’autres qui ne dansent pas… Tu as un truc qui est plus libre. Et finalement l’engagement que ça demande… Ça n’est pas un non-engagement. C’est un vrai engagement mais duquel le spectateur est complétement responsable, tu vois. C’est à dire que c’est lui qui choisit ce qu’il va faire. Et s’il a envie de gueuler ben il peut gueuler… Voilà, ça fait partie, c’est une des composantes du truc. Parce que je crois qu’on travaille vachement – quasiment tous autant qu’on est – on travaille vachement sur... Sur le non-contrôle mais aussi sur…

Yann Gourdon : Sur la perte du contrôle !

Clément Gauthier : Sur l’efficience du son, la performativité du son. Et du coup c’est un dialogue. Et si c’est un dialogue ça demande qu’en face, aussi, on te renvoie quelque chose. Sinon ce n’est pas un dialogue. Sinon tu fais une leçon. Tu fais une leçon inaugurale, tu vois, et tu… Voilà, tu tombes dans un travers musical qui je crois ne nous intéresse pas vraiment.

Une réflexion que je me suis fait aussi : finalement, à aller vous écouter dans vos divers concerts, je me retrouve plus dans la même – j’allais dire la même ambiance mais ce n’est pas ça… Dans le même rapport, avec vous, ce que vous jouez, qu’avec des gens qui font des musiques complètement différentes, des choses plutôt bruitistes… Je ne sais pas si vous connaissez les gens du label tanzprocesz, par exemple, France Sauvage et d’autres. Des gens qui travaillent d’ailleurs souvent pas mal le son « sans hauteur identifiable», qui ne sont ni dans l’harmonie ni dans le modal mais justement essentiellement dans le timbre. Est-ce que vous pensez avoir des approches semblables, avec ces gens là, compatibles ?

Guilhem Lacroux : Oh, je pense que oui. Enfin, le son… C’est du son. Quand on dit qu’on fait de la musique – moi je crois, hein – c’est d’abord qu’on fait du son. C’est de la matière sonore.

Ce que je veux dire aussi, c’est que j’ai plus des impressions plus familières – d’un concert de Toad ou de La Baracande à un de ces gens là – que je n’en aurais, d’un concert annoncé comme « purement trad’ » à l’un des votre.

Guilhem Lacroux : Mais parce que… Enfin, d’une part il y a ton écoute, qui va sélectionner dans ce que tu entends – par exemple, comme tu dis, de Toad ou de La Baracande – et va te ramener à une école bruitiste… D’autre part le fait que nous, si on joue comme on joue, c’est aussi parce qu’on a été intéressés par ça. Et ça se retrouve là-dedans sur ces questions de durées, aussi… Enfin, dans la musique, il me semble qu’il y a toujours tout un tas d’entrées. Et peut-être que quelqu’un qui aura une écoute, une – mettons une connaissance – du répertoire, va entendre plus le répertoire et moins ces aspects là, que tu évoques. Et… que ça peut lui plaire. Ou pas. Mais disons que ces portes là, pour la musique qu’on fait… Peut-être que ce n’est pas absurde quand tu dis que toi ça te rapproche d’autres musiques censément pas du tout apparentées.

D’ailleurs concernant le rapport au public… Yann, on peut parler un peu de France – qui n’est pas un groupe de La Nóvia ? J’ai toujours l’impression qu’avec France tu investis un lieu, et que c’est presque une confrontation avec les gens. Le fait de se mettre au milieu…

Yann Gourdon : En tout cas ce n’est pas une confrontation, non. Ce qu’on a, c’est un besoin d’être DANS le public mais… Je me rends compte… Le week-end dernier avec Jéricho on a joué pour les Siestes Électroniques et c’est un contexte – un dispositif – qui fait que le public était vraiment tout autour de nous. Et moi c’est quelque chose qui me plaît vraiment. Et c’est quelque chose qu’on fait avec France depuis quelques années maintenant. Et c’est un rapport de proximité avec le public que j’aime énormément – mais parce que ça joue, encore une fois, de ce dont on parlait tout à l’heure. C’est ça que je recherche, et le fait de se mettre DANS le public, c’est un choix opéré pour ça.

Mais… Est-ce que le rapport est exactement le même avec le public, dans France et les groupes de La Nóvia ? Je veux dire… Avec France, je vois vraiment les gens devenir fous.

Yann Gourdon : France, ce n’est pas un groupe de La Nóvia, hein… Mais ça pourrait l'être ! Il y a une dimension peut-être plus rock, aussi, qui donne une autre accroche pour le public, qui apporte aussi une nouvelle dimension, qui nous ramène à quelque chose de très… Effectivement il y a une forme d’excitation assez rapide qui en plus est tenue sur la durée et qui nous amène dans un certain état.

Aux Échos j’ai vu quelqu’un tomber dans les pommes après le concert… Il y a une espèce d’épuisement.

Yann Gourdon : Oui. Mais pour moi ce sont des processus, ce sont des choses que je recherche à travers les groupes de La Nóvia, de la même manière. C’est juste que les moyens sont différents, la musique proposée… Non, elle n’est pas différente parce que je pense qu’il y a vraiment des similitudes mais… C’est le dispositif qui change, c’est tout.

Pour finir… Des projets en cour, des sorties peut-être ?

Yann Gourdon : Alors… Il y a beaucoup de disques en préparation. Un disque de Violoneuses, qui va sortir en octobre/novembre. Un double LP de Jéricho qui sera pour… on espère pas trop tard, ça dépend des délais de pressage. Un vinyle du trio Puech/Gourdon/Brémaud, accompagné d’un livre d’artiste, qui sortira simultanément à Jéricho, je pense. On va enregistrer La Baracande, en janvier. On enregistre La Cléda, aussi en janvier… J’enregistre un solo, aussi… Il y a un vinyle du Verdouble qui va sortir, sur le label Erratum. Sinon, on travaille en ce moment sur un projet qui s’appelle Flux, où on a cherché à mettre en évidence les similitudes – pour nous – esthétiques entre des musiques expérimentales et des musiques traditionnelles. Donc, on a choisi d’interpréter des œuvres du répertoire expérimental, notamment une pièce de Phil Niblock, avec des musiciens et des instruments traditionnels… Enfin, ce sont les musiciens de La Nóvia, hein !

Est-ce qu’il y aurait un mot que vous voulez ajouter pour nos lecteurs ?

Guilhem Lacroux : Je t’aime.

Yann Gourdon : Santé. (Repris par tous).

Clément Gauthier : Bisou Maman.

Eh bien merci beaucoup.

(Collégial) : Merci à toi.

Guilhem Lacroux : Eh ben tu vois, on y est arrivé.

En effet, on y est parvenu, à se parler. Je me dis qu’il eut été dommage, décidément, de ne pas enfin la faire, cette rencontre. Je m’aperçois – l’un d’eux me le signale – qu’on m’avait servi un verre de rosé. Pris dans la discussion, je ne l’avais même pas remarqué. Il est donc temps de trinquer… Dehors, sur l’herbe du parc devant et autour de la scène, assez loin, jusqu’au grille du jardin, une petite foule s’est amassée, pendant que nous devisions. Quelques centaines de personnes, je crois. L’endroit est assez plein, à vrai dire. On se dit « à bientôt » puis on conclut « qu’au fait, à tout de suite ». Nous rejoignons, avec les camarades, d’autres amis et connaissances venus aussi pour les concerts. Violoneuses montent sur scène et lancent les premiers feux – plutôt follets et effectivement… Magnifiquement timbrés. Leur tour finit, elles prolongent pour quelques uns – en cercle autour d’elles, pas partis à la buvette – sans amplification, à même la pelouse, au bas de l’estrade… Je me dis « vivement le disque ». Et j’espère les revoir dans d’autres lieux, aux dimensions pour le coup plus intimes. Suivent Jéricho, puis Toad. Ce seront encore deux espèces de tempêtes cosmiques et immanentes, poussées incroyables. Jéricho : chants alternés ou à l'unisson de Jacques Puech et Clément Gauthier - en français et en occitan, pour les deux -, longue, très longue montée sans arrêt reprise, et qui emporte, fait croire qu'elle va se poser mais ne vous lâche jamais, vous emmène encore à un autre palier, quand elle repart. Le tunn-tunn – cet instrument à cordes que Clément Gauthier percute avec des baguettes de bois - scande ; et les masses de fréquences s'amalgament, pulsent, se libèrent... Les pieds frappent lourdement le rythme. C'est un contact rude avec le sol, mais cette frappe, cette percussion, propulsent. Et Toad, ensuite : toujours ces danses qui s'emballent, ces moments où les enveloppes à la fois s'épandent, son étal, et se déchirent pour laisser entrevoir, toucher, derrière, ce moteur vivant, toujours prêt à s'affoler, du pas qui fait tourner. Là aussi, cela dure. Il semble que personne – ni eux, ni nous – ne voudra tenir la fatigue comme un motif possible pour mettre fin. Au bout, on sent bien ce qu'on veut atteindre. Ces tours sans fin, on ne voit pas pourquoi on demanderait qu’ils cessent... Il faut que ce monde-ci continue de se mouvoir. Une fois de plus, on en sortira en sueur, dénoués, toutes réserves brûlées, jetées dans le bal. Mais certainement pas vidés au sens d'un sentiment du rien, d'une vaine dépense regrettée. On se sent présents pour de bon, plutôt, là et avec qui l'on est. On a bien fait d'y venir, une fois de plus... Vous devriez voir passer ceux là, encore – et d'autres, ou eux tous, de La Nóvia – aux soirs allumés de vos contrée.

Mots clés : La Nóvia, folk, drone, trad, vielle à roue, tunn-tunn, Auvergne, danse, bal, feedback, collectif, timbre et timbres

Dernière mise à jour du document : mercredi 22 novembre 2017

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