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Olivier Di Placido / SEC_ - Interview

par VL › dimanche 1 décembre 2013


Style(s) : ambient / musique classique / musique électronique / field recordings / musique concrète / musique électro-acoustique

Pour nos lecteurs qui ne vous connaîtraient pas, pouvez-vous svp vous présenter ?

Mimmo : Après des études de piano étant petit, puis mes premières expérimentations avec ordinateur et synthétiseur, j’ai débuté en 2003 avec le groupe de rock d’avant-garde Weltraum ; une experience très importante pour moi, qui s’est achevée l’an dernier, mais qui pourrait reprendre à tout moment. En 2007, j’ai rencontré Mario Gabola, saxophoniste au sein de la formation A Spirale. C’est lui m’a introduit au monde de l’EAI (Electro-Acoustic Improvisation). A travers notre duo, Aspec(t), j’ai pu développer ma propre poésie, et mes techniques d’improvisation. C’est à cette époque aussi que j’ai commencé à officier sous le pseudonyme de SEC_. Depuis, j’ai été impliqué dans divers projets ici, à Naples, ma ville d’origine, notamment dans l’organisation de concerts et de festivals (Altera !), ce qui m’a donné l’opportunité d’inviter les musiciens que j’apprécie, voire de collaborer avec eux (Jérôme Noetinger, Dave Phillips, Valerio Tricoli, Andy Guhl, etc). A la même époque, j’ai commencé à m’impliquer dans la composition, qui est aujourd’hui ma façon de travailler en studio.

Olivier : Pour moi les choses ont commencé lorsque je me suis installé à Rennes en 2002. J’ai rencontré Basile Ferriot à Nantes et on a commencé à jouer ensemble sous le nom de Ferrailles. Je jouais ce qu’on appelle « communément » de la guitare préparée ou tabletop, avec des objets, ainsi que de l’électronique. On faisait une musique électro-acoustique très minimale, basée sur l’écoute, le silence, avec pas mal de passages rugueux. J’ai passé beaucoup de temps à expérimenter, modifier des pédales d’effet, des synthétiseurs, un Tascam, des câbles, à enregistrer tout ça sur mini-disc. Je me suis ensuite installé à Berlin en 2005. J’ai alors commencé à jouer plus de concerts, et j’ai pu rencontrer Clare Cooper, Pato (carn de porc), Anthea Caddy, Mat Pogo, Mario De Vega, Tony Buck, Johnny Chang, etc. J’ai aussi organisé une série de concerts à Able, une gallerie d’art dans le quartier de Neukölln, durant une courte période.

Comment vous-êtes vous connus ? Quel a été le point de départ de votre collaboration ?

Olivier : On s’est rencontrés dans un Kebab berlinois. Mat Pago a fait les présentations, voilà. C’était en 2009. Pour les concerts et les sessions d’enregistrements, je vais à Naples, ou bien Mimmo vient à Berlin. Depuis le début, on ressent tous les deux une véritable facilité à jouer ensemble.

Vous vous êtes tous deux spécialisés dans la pratique d’un instrument particulier : Revox pour toi, Mimmo, et guitare préparée pour toi, Olivier. Pourquoi ces instruments en particulier ? En êtes-vous arrivés au point de tout contrôler ?

Mimmo : J’ai toujours été fasciné par les modulations de bande, le pitching caractéristique, le reverse, l’avance rapide, etc… une attirance très instinctive, je pense, au point que lorsque j’ai commencé dans la musique électronique, je cherchais typiquement à reproduire les même effets avec mon ordinateur. Je me suis ensuite mis au dictaphone, mais je n’ai pas longtemps résisté à la fascination de passer à la grosse machine ! Le Revox, tu t’en doutes, n’est vraiment pas intuitif, et nécessite une longue pratique. A présent, je sais que je peux le contrôler, mais tout dépend aussi du matériau sonore et des relations que j’établis entre le Revox et les autres équipements (ainsi que les autres musiciens, ou même l’environnement)… bref, même si tu peux toujours contrôler certains segments, tu ne pourras jamais contrôler la relation entre ces segments. C’est probablement là que les choses les plus intéressantes se passent, sur le fil entre le contrôlable et l’incontrôlable : pour moi, c’est le lieu de l’inspiration, autant que de la surprise.

Olivier : Tout peut être préparé : les cordes, le micro, le e-bow (qui est déjà un instrument en tant que tel)… même la préparation peut être préparée. Après, on peut appeler ça guitare préparée, démembrée, modifiée, tabletop, etc, j’ai finalement du mal à donner un nom à tout cela. Pour moi, le plus important est de conserver une relation enfantine, naïve, avec mon instrument. En 2009, lors d’un voyage, j’ai dû faire rentrer ma guitare dans une valise pour ne pas payer de supplément. Pour cela, j’ai dû démonter le manche. C’est lorsque j’ai remonté le manche avant le concert que je me suis dit que ça pourrait être intéressant d’expérimenter autour de ça. Et c’est ce que je fais depuis : accepter les accidents et la façon dont ils peuvent transformer ma perception pour devenir des opportunités. Tu peux pratiquer pendant des lustres, si tu n’acceptes pas les accidents, tu continueras à macérer dans ton propre jus. Je pratique finalement peu chez moi, mais j’expérimente beaucoup, comme par exemple trouver une technique qui me permette de passer d’un long drone à de rapides attaques en une fraction de seconde. C’est le genre de technique que je ne peux trouver qu’en expérimentant. Cependant, je ne joue ni de son ni de technique spécifique dans le but de savoir les reproduire à la perfection. Comme le manche et les micros sont détachés, il est de toute façon très difficile d’avoir deux fois le même son : c’est plutôt instable. C’est d’ailleurs ça qui fait que la musique reste spontanée et ouverte.

Votre tournée franco-suisse est à présent achevée. Vos impressions ?

Mimmo : Je suis très satisfait. J’attends déjà avec impatience la prochaine tournée !

Olivier : Pareil pour moi !

Votre superbe performance aux Instants Chavirés a été très applaudie. Quelle est d’une manière générale votre rapport avec le public ?

Mimmo : Le public, c’est la condition de possibilité du concert, et je pense qu’en improvisation le public influence, voire détermine presque la performance dans son intégralité (avec la pièce, et l’ampli). Il est aussi important de sentir l’énergie des personnes, ou leur attention, que de percevoir leur manque d’attention, leur distraction, le bruit environnant. Si c’est le cas, tu sais que tu dois donner plus, que tu dois trouver un moyen de capter l’attention du public, et généralement il en résulte une musique très intense. J’aime beaucoup quand ça arrive (probablement parce que j’ai grandi à Naples, où le public est très bruyant, et perd attention très facilement). Ce que je cherche à dire, c’est que la relation entre musiciens et public est bilatérale : ils te donnent pendant que tu leur donnes, et la réalité de tout cela est différente à chaque moment, et pour chaque personne.

En live, élaborez-vous sur des directions ou des jalons préalablement établis, ou bien vous en remettez-vous totalement au feeling du moment ?

Mimmo : aucun jalon, aucune direction, parfois même aucun feeling conscient, et en même temps tout cela porté par l’inconscient. Si tu as une idée, et que tu es obsédé par elle durant tout le concert au point de la concrétiser même si l’autre n’y est pas préparé, alors ça relève de l’inconscient. Ou bien tu peux être totalement vide, mais inconsciemment guidé par une structure que tu as apprise ou incarnée d’une manière ou d’une autre durant ton parcours musical.

Olivier : J’aime ce sentiment de vide, plutôt inconfortable durant un concert, mais signifiant aussi que tu joues avec tes limites. Le résultat, souvent bon, s’en ressent. C’est pour cela que je n’utilise aucun son pré-enregistré ou pédale de delay. Tu sais, le genre d’équipement qui te permet de fumer ta cigarette pendant que tu joues :) Ce que j’aime, c’est la page blanche. Le sampleur sans les samples. Mais bon, si j’ai vraiment envie d’une bière, je peux toujours utiliser le e-bow et écouter du son sans fin :)

Vous me disiez l’autre jour qu’il n’y avait aucun feedback entre vos chaînes… comment faites-vous donc pour sortir des pièces aussi cohérentes, notamment en terme de grain ?

Olivier : Je suis content que tu dises ça. Ce serait tellement facile pour la cohésion du duo que ma guitare passe à travers son Revox. En fait, on réfléchit à un système mécanique qui connecterait les deux instruments. Mais pas pour rajouter de la cohésion. J’aime les systèmes mécaniques, la technologie primitive.

Mimmo : C’est aussi dû à la chance :) Ou peut-être qu’il serait plus juste d’appeler cela un secret, parce que tu ne peux jamais avoir une complète compréhension de ce qui arrive durant une improvisation. Mais tu en as une perception, bien évidemment, une relation instinctive et un contrôle qui te guident. Le truc, c’est que ce que tu appelles « pièce cohérente » n’est pas seulement le résultat de technique ou de choix rationnels. Très souvent, tu ne sais pas comment ton ressenti devient musique : être très ouvert à l’écoute de l’autre peut générer une musique ennuyeuse ou générique, alors que les ressentis négatifs, comme la colère, la déconcentration, la frustration, le dédain, peuvent conduire à des surprises intéressantes. Peut-être qu’il existe une connexion mécanique pré-établie, pas entre nos instruments, mais entre nos corps et nos ressentis, comme une force de gravité qui opère à distance… et peut-être que la cohérence part de là.

C’est l’heure de la minute gear porn : Mimmo, comment ton laptop interagit-il avec le Revox ? Es-tu de ces fanatiques de MAX/MSP ?

Mimmo : Je n’utilise pas MAX/MSP. Je ne sais pas programmer, en fait. Je suis plutôt intéressé par les liens entre l’analogique et le numérique, dans les zones où les deux sont indissociables. Je génère par exemple du feedback entre le Revox et le laptop en utilisant la latence du limiter de la carte-son pour moduler le son… ce procédé est-il analogique ou numérique ?

Parlons à présent de votre album : « Rainbow Grotesque ». Quelle est l’histoire derrière le titre ?

Olivier : Je recevais beaucoup de spams avec des noms étranges. J’étais vraiment emmerdé, jusqu’à ce que je décide d’en faire des titres. « Rainbow Grotesque » est l’un d’entre eux. On aime bien l’association des deux mots, et ça colle plutôt bien à la musique de l’album.

C’est un album que je trouve très réussi, parsemé de formidables moments éphémères…

Mimmo : merci ! Il a été élaboré à partir d’improvisations studio enregistrées à Berlin et Naples, puis sélectionnées et éditées pour sonner plus comme un travail organique et compact.

Olivier : Mimmo a vraiment fait un super boulot avec l’editing. Ceci dit, il y a beaucoup de passages qui semblent avoir été retravaillés, alors que ce n’est pas le cas.

Quel type d’ambiance ou de ressenti vouliez-vous capturer avec cet album ?

Mimmo : Je ne pense pas que nous ayons le pouvoir de saisir quelque humeur. Au contraire, c'est l'humeur qui prend possession de toi à travers la musique. En fait, on est complètement possédés par l'album!

Olivier: Il m'est encore impossible de comprendre ce qu'on fait. Peut-être qu'après le prochain album je commencerai à deviner ce qu'on tente d'atteindre... Ce que je peux dire, c'est que l'album reflète un condensé d'une longue période de travail et un goût partagé pour les constructions en forme de séquences.

Est-ce comme emprunter un chemin dont on ne connaît pas la destination ?

Olivier : Oui, mais tu sais que tu dois y aller.

Vous œuvrez tous deux dans la musique improvisée. En quoi est-ce important pour vous de sortir des albums ?

Olivier : C’est comme marcher dans la rue, et soudainement avoir envie de prendre une photo pour capturer un moment. Au début, tu le fais pour toi, mais si des gens manifestent leur intérêt d’y jeter un œil, tu voudras partager. En termes de pertinence, il n’y a aucune différence à fixer sur support une improvisation et une composition.

Mimmo : Me concernant, le travail de studio représente une part importante de mon activité, et je crois beaucoup à l’importance de la musique « sur support » (peu importe que ce dernier soit physique ou dématérialisé), peut-être parce qu’écouter des albums reste ma principale façon d’apprécier la musique. Je crois que les albums ont des caractéristiques spécifiques qui valent d’être considérées et utilisées. Cela signifie que, sur disque, tu peux avoir (et dans mon cas, c’est une nécessité) une attitude différente de celle issue de l’improvisation live. C’est pour cela que je tiens toujours à monter en studio les enregistrements live, pour en faire des albums.

Olivier : La composition est un lieu où l’inconscient commence à devenir conscient ; le moment où tu te mets dans la peau de l’auditeur, avant, pendant et/ou après avoir joué.

Y a-t-il des choses que vous aimeriez explorer en tant que duo ? Peut-on espérer d'autres albums à l'avenir?

Mimmo : bien sûr, on travaille même déjà dessus!

Vous avez par le passé collaboré avec plein d'autres artistes. Pour vous, à quoi ressemblerait la collaboration idéale?

Mimmo : la collaboration idéale n'est probablement rien d'autre que celle avec toi-même. Une collaboration “réelle”, par opposition à “idéale”, est une limitation de ta liberté, un challenge avec la différence. Comme en amour, tu peux y trouver beaucoup de plaisir et de possibilités si tu restes suffisamment ouvert.

Olivier : Je n'ai aucune collaboration idéale. A propos de “plein d'autres”, c'est justement le nom de mon duo (Many Others) avec le batteur Francesco Gregoretti. Pour les percussions spasmodiques, il est vraiment monstrueux!

A quoi ressemblera votre actualité 2014 ?

Olivier : une autre tournée vers mai / juin, une nouvelle cassette et un second LP.

Merci beaucoup pour l’interview. Un mot de conclusion ?

Olivier : Merci à toi ! Ce fut un plaisir.

Mimmo : Ciao !

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Dernière mise à jour du document : dimanche 1 décembre 2013

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