Vous êtes ici › ArticlesLittérature › À nos pères, de Tarik Noui

À nos pères, de Tarik Noui

par Saïmone › vendredi 11 janvier 2013


Style(s) : hardcore

Lucius est un vieux dont la retraite ne suffit pas à le faire vivre. Heureusement, Lucius est un type hargneux.

Frank Lahire, une espèce de mafieux (qui lui n'est pas asservi au serment d'Hippocrate), va l'emmener voir un truc dans un sous-sol. Des vieilles carnes qui s'en mettent plein la tronche. De la viande violette qui claque comme une bavette un peu trop bleue.

Lucius est un type hargneux, je vous disais. Il ne perd jamais.

Mais il ne faut jamais dire jamais...

Tarik Noui, connu par les auditeurs de France Culture, nous balance un texte aussi frontal que viscéral. On l'a souvent comparé à un "Fight Club" gériatrique. Je ne suis pas d'accord : Tarik Noui n'est pas un cynique de merde. Il a une distance qui lui permet de faire presque tout avec son personnage principal. Parce qu'il a compris les enjeux (haha !) de la vieillesse. La fin de vie. L'attente. Le désespoir. Les enterrements. La mémoire qui s'effrite.

Pour aller à l'encontre de ce temps qui s’effiloche, qui s'étire jusqu'à ne plus exister - jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un unique "moment" sans fin -, le phrasé de Tarik Noui est court et percutant. Il n'y a presque aucune autre ponctuation que le poing. Des phrases à dix coups, pas plus. Comme s'il essayait de retranscrire toute la vie qui s'échappe de l'acharnement de Lucius.

Ce livre (très court, une centaine de pages écrites) pourrait parler de vos grands parents. S'ils savaient encore se battre. C'est "Amour" de Haneke qui rencontre "Rafael, derniers jours" de McDonald.

extrait : Le vieux est au sol maintenant. Sa main n’a pas du tout ralenti sa chute. Son corps n’a pas fait de bruit ou du moins, si bruit il y eut, celui-ci fut étouffé par les hurlements de la foule. Le vieux gît. Paquet mou. Nez éclaté. Moche. Le sang et les brisures d’os. La bouche ouverte cherche de l’air. La mâchoire. Le vieux bouge un peu sa main qu’il laisse là, frotter le bitume. Il ferme les yeux. Les ouvre. Les ferme encore une fois en geignant. Autour de lui, les hommes qui ont perdu leur pari crient et l’injurient. Il pleure. Il ne voudrait pas mais les larmes lui viennent. Pas parce qu’il a honte et qu’il se sent humilié. Parce qu’il ne peut plus rien pour lui-même. Il ne pleure pas pour ses dettes qui l’étranglent. Pour les femmes qu’il voit passer sans pouvoir les aimer. Pour toutes les choses qui sont là. Juste là. Mais qui sont pour d’autres. Non. Le vieux pleure parce qu’il n’a pas gagné. Parce qu’on aime les vainqueurs.

Chez Inculte.

(à noter que le livre existe aussi en feuilleton radiophonique, malheureusement complètement raté, tant la lecture mollassonne ne fait pas honneur au souffle puissant qui habite le livre)

Mots clés :

Dernière mise à jour du document : samedi 12 janvier 2013

Si vous étiez membre, vous pourriez réagir à cet article sur notre forum : devenez membre